Le Congrès des députés espagnols examine aujourd’hui un projet de loi majeur, fruit d’une initiative citoyenne, qui pourrait, peut être, aboutir à la régularisation de 500 000 migrants en situation irrégulière sur le territoire. Si le texte est adopté lors du vote final, le gouvernement disposera de six mois pour en publier l’arrêté royal d’application.
Une initiative citoyenne soutenue par la société civile
Ce projet de régularisation n’émane pas du gouvernement, mais d’une initiative législative populaire (ILP) lancée en décembre 2022. Ce dispositif démocratique, garanti par la Constitution espagnole, permet aux citoyens de soumettre un texte au Parlement après avoir réuni au moins 500 000 signatures : la campagne de régularisation a largement dépassé ce seuil, atteignant 700 000 signatures, soutenues par plus de 900 organisations – ONG, associations citoyennes et congrégations religieuses, dont Caritas. Il y a deux ans, ce texte avait été officiellement présenté au Parlement, amorçant le processus législatif.
Un large soutien parlementaire, malgré des résistances
Lors du vote d’admission à l’étude, 310 députés se sont prononcés en faveur de la proposition. Seuls les 33 élus du parti d’extrême droite Vox ont voté contre, dénonçant un potentiel “appel d’air” migratoire.
Si le texte est validé après examen et amendements, les migrants concernés devront être arrivés en Espagne avant le 31 décembre 2024 pour pouvoir bénéficier de la régularisation.
L’immigration, enjeu démographique et économique
Pour les défenseurs du projet, cette régularisation vise à corriger une injustice structurelle : des dizaines de milliers de personnes vivent, travaillent et participent à la société espagnole, sans aucun droit fondamental.
Lamine Sarr, ancien sans-papiers et le porte-parole du mouvement Regularización Ya, rappelle que de nombreuses familles avec enfants vivent sans pouvoir accéder à la santé ou à l’éducation. Il pointe du doigt un système « pervers » qui les maintient dans une précarité extrême. Les militants rappellent aussi le rôle fondamental des migrants en situation irrégulière pendant la crise du Covid-19, dans des secteurs essentiels comme : les soins à domicile, la livraison et l’agriculture.
Par ailleurs, selon une étude de la banque Allianz, l’Espagne aura besoin de 338 000 travailleurs étrangers supplémentaires chaque année pour compenser la pénurie de main-d’œuvre.
Les partis divisés, mais ouverts au débat
Le PSOE, parti au pouvoir, a exprimé un soutien prudent au texte. Son porte-parole, Patxi López, a souligné la nécessité d’une régularisation “raisonnable et intelligente”, excluant à la fois un “open bar” migratoire et un durcissement des frontières.
Yolanda Díaz, dirigeante de Sumar, a défendu le projet au nom de la justice sociale, tandis que le chef du Parti populaire (PP), Alberto Núñez Feijóo, s’est dit prêt à “prendre en considération” la proposition, notamment suite aux appels lancés par Caritas et le patronat espagnol : « Il faut trouver un équilibre entre limbes juridiques, contrôle des frontières et régularisation de ceux qui vivent ici depuis des années », a-t-il affirmé.
Arrivées de migrants en forte hausse
L’Espagne a battu un nouveau record d’arrivées de migrants irréguliers en 2024, avec 63 970 personnes entrant illégalement sur le territoire espagnol par voie terrestre ou maritime, selon les données du ministère de l’Intérieur. Une majorité arrive par les cotes des îles Canaries en provenance d’Afrique du Nord et de l’Ouest.
La dernière mesure de régularisation massive de sans papier de ce type remonte à 2005, sous le gouvernement de José Luis Rodríguez Zapatero, et avait permis la régularisation de près de 600 000 personnes.
Laurence Lemoine