“Ré-élu, je réintégrerai la majorité présidentielle à l’Assemblée nationale, mais avec la liberté d’action”

Le Courrier d’Espagne reçoit dans ses bureaux de Madrid Stephane Vojetta, le député de la 5ème circonscription des français de l’étranger (Espagne, Portugal, Andorre, Monaco). Entrepreneur installé depuis 20 ans à Madrid et bien encré dans le tissu local, Stephane a été très surpris par la candidature d’Emmanuel Valls pour cette même circonscription. Echange sans détour avec notre rédaction.

Qu’apporte un député aux Français de l’étranger ? Quels sont les besoins que tu as le plus ressenti ?

Un député des Français de l’étranger se doit par définition d’agir en tant que législateur à Paris, en travaillant à l’Assemblée nationale et en y votant dans l’hémicycle des lois… qui concernent tous les Français. Mais parmi ces lois, peu nombreuses sont celles qui ont des implications directes pour les Français de l’Étranger. C’est pourquoi le député des Français de l’étranger doit aller bien plus loin : il doit être un relais efficace des préoccupations de ses compatriotes auprès des administrations, des cabinets et du gouvernement à Paris, mais aussi proposer des solutions. Et pour cela, il faut connaitre et comprendre ces préoccupations, ce qui passe par une présence significative sur le terrain, pour bénéficier des remontées directes des Français sur leurs soucis du quotidien, mais aussi pour être à l’écoute de leur représentants élus et des piliers de la communauté que sont les associations et les établissements scolaires.  

Tu vis à Madrid depuis 20 ans, peux-tu nous décrire la “société civile” française d’Espagne ?

Il est vrai que j’ai posé mes valises en Espagne pour la première fois en 2004. J’ai connu et fréquenté de très nombreux Français dans toute l’Espagne.

Je sais bien qu’il n’y a pas « un » Français d’Espagne : il y a au contraire une multitude de modèles.

Prenons d’abord les Français qui vivent et travaillent à Barcelone, Madrid, Valence, Malaga, Bilbao ou encore Séville. Numériquement ils représentent près des deux tiers d’entre nous. Ils sont essentiellement actifs, travaillent ou étudient, et forment souvent partie de familles avec enfants. Au niveau professionnel, loin de l’image d’Épinal de l’expatrié en voiture de fonction, de plus en plus de Français travaillent à leur compte, voire en mode création d’entreprises, et s’ils sont salariés, ils le sont de plus en plus souvent sous un contrat local. Les Français de Barcelone, Valencia et Malaga ont des carrières souvent plus tournées vers la technologie, ceux de Madrid ou Séville sont plus souvent employés par des grands groupes ou dans l’industrie. De nombreux Français trouvent dans le tourisme, la restauration, ou encore les centres d’appels, des solutions professionnelles flexibles mais qui ne leur permettent pas de rouler sur l’or. 

Parmi les familles, certaines peuvent se permettre de scolariser leurs enfants dans un lycée français, beaucoup d’autres ne le peuvent pas.

Si l’on s’éloigne des grandes villes et que l’on se rapproche des zones côtières ou des archipels (Canaries ou Baléares), on retrouve une population française parmi laquelle les retraités sont beaucoup plus représentés, qu’ils soient arrivés en Espagne il y a 5 ou 40 ans. Ces personnes apportent une attention particulière à leur relation administrative avec la France, aux connections des systèmes de santé, au traitement de leur retraite, et sont celles qui souffrent le plus de l’éloignement avec leur consulat. 

On dit souvent que les députés des français de l’étranger finissent dans leur mandat par aborder des sujets…hors sujet et bien loin des vraies préoccupations des français locaux. Un mot là-dessus ?

En ce qui me concerne, rien de moins vrai ! Au cours de mon mandat, même si j’ai participé notamment aux débats législatifs sur le pass vaccinal ou l’aménagement des rives du Rhône, je me suis immédiatement focalisé sur un sujet qui me tenait particulièrement à cœur en tant qu’usager et qu’élu consulaire à l’écoute de ses concitoyens : les difficultés croissantes d’accès aux services consulaires, en particulier en ce qui concerne le renouvellement des papiers d’identités.

Je me suis attelé – auprès des ministres et administration compétentes, et même auprès de Jean Castex – à proposer et à pousser une solution basée sur la dématérialisation des rendez-vous. Cela a permis de rompre une véritable barrière psychologique au sein de l’administration et de bénéficier de l’annonce du début d’une phase de test d’une procédure dématérialisée fin 2022 au Portugal. 

J’ai aussi eu le privilège de porter le processus législatif de reconnaissance de l’accord sur la double nationalité franco-espagnole, accord initialement conclu entre Emmanuel Macron et Pedro Sanchez et qui venait répondre à une réelle attente des Français d’Espagne. 

Enfin, je suis fier d’avoir aussi pu prendre part à l’élaboration de la loi de reconnaissance des préjudices subis par les Harkis, loi qui, je le sais, résonne particulièrement au sein de la communauté française pied-noir de la côte alicantine. 

Que souhaiterais-tu améliorer dans un nouveau mandat ?

Ré-élu député en juin prochain, j’aurai une grande opportunité. En effet, je réintégrerai la majorité présidentielle à l’Assemblée nationale, mais avec la liberté d’action que me donnera le fait d’avoir fait campagne sans le soutien de mon parti. Cela me permettra d’être encore plus efficace et sincère dans mon action : mes compatriotes commencent à me connaitre, quand je vois que quelque chose ne fonctionne pas, je prends l’initiative de chercher une solution, puis de la mettre en œuvre. Si je suis ré-élu député, c’est ce que je compte faire, sans être excessivement distrait par les contraintes de la discipline parlementaire. 

Concernant la soudaine candidature d’Emmanuel Valls pour la circonscription, un commentaire ?

C’est une surprise pour tout le monde, et en particulier par les Français d’Espagne qui sont choqués par ces pratiques que l’on croyait reléguées au passé. Et surtout, des pratiques auxquelles je voulais contribuer à mettre fin en rentrant en politique il y a 5 ans. Je ne peux donc pas faire autrement que maintenir ma candidature, pour répondre à l’appel des électeurs qui réclament du renouvellement démocratique, mais surtout un modèle de député proche d’eux et de leurs préoccupations. Mais je reconnais volontiers que c’est aussi une question de principe, et de caractère. 

Tu maintiens une candidature quoi qu’il arrive ? 

Oui. Car, malgré le respect que je dois à monsieur Valls, je crains que sa faible popularité en Espagne ne le mène qu’à une défaite inéluctable face au candidat de la liste LFI unifiée. Or, après avoir gagné deux élections législatives (en 2017 et 2018) aux cotés de ma collègue Samantha Cazebonne, je ne peux pas me résoudre à voir passer cette circonscription dans le camp de ceux qui veulent envoyer Jean Luc Mélenchon à Matignon ! 

Note*

Sur demande, et uniquement sur demande, des candidats pour la 5ème circonscription, Le Courrier accepte de les recevoir dans ses bureaux afin qu’ils exposent leurs thématiques. Nous n’avons formalisé aucune demande d’interview nous-mêmes.

Naturellement, respectant l’univers de chacun d’eux et de leur lectorat, les questions ne sont pas les mêmes. Et un entretien informel préalable, et surtout physique, avec eux a été fait avant de soumettre les questions. Chacun ayant son univers du moment.

Nous rappelons que Le Courrier d’Espagne coûte zéro euro au contribuable car ne reçoit aucune subvention de l’Etat. Sous quelque forme que ce soit. C’est une publication indépendante (politiquement et financièrement) et neutre depuis 18 ans dont l’objet est de fournir des informations et des contacts pour ceux qui veulent investir ou s’implanter sur la péninsule ibérique.

Rédaction LCE Madrid / Philippe C.