Le phénomène des logements squattés en Espagne ne cesse de prendre de l’ampleur. Devenu presque banal, il n’est désormais pas rare de voir des annonces immobilières mentionner la formule « sans possession », un joli euphémisme pour indiquer que le bien est occupé illégalement. Cette nouvelle réalité du marché représente déjà près de 3 % des logements proposés sur Idealista, principal portail immobilier du pays.
Pour la première fois, le site Idealista a cartographié et quantifié le nombre de biens squattés actuellement en vente. Résultat : 20 464 logements sont proposés à l’achat alors qu’ils sont occupés sans droit ni titre. Cela représente 2,6 % de l’ensemble des biens en vente. Dans certaines villes, ce taux dépasse même les 8 %. Une évolution notable, alors que ce type de transaction était encore inexistant il y a quelques années.
En signalant ouvertement la situation dans l’annonce, les vendeurs préviennent les acheteurs potentiels des complications juridiques ou administratives à venir.
Gérone en tête
Cette cartographie révèle de grandes disparités selon les régions. Gérone se hisse en tête des villes avec la plus forte proportion de biens squattés à vendre : 8,8 % des annonces y concernent des logements sans possession. Suivent Murcie (5,5 %), Séville (4,7 %), Almería (3,9 %) et Málaga (3,8 %). Barcelone et Santa Cruz de Tenerife affichent chacune 3,5 %, tandis que Lérida et Valence atteignent 3,4 %. Huelva (3,3 %), Palma (2,9 %), Tarragone (2,8 %) et Las Palmas de Gran Canaria (2,7 %) complètent le classement.
Ce que les chiffres ne disent pas, c’est le nombre de ventes réellement conclues dans ces conditions. On peut supposer que l’intérêt pour ce type de bien reste limité, sauf lorsque le prix est considérablement bradé : en effet, certains propriétaires préfèrent vendre à tout prix pour éviter les longues et coûteuses procédures d’expulsion. D’autres misent sur une nouvelle législation, attendue prochainement, plus ferme à l’égard des squatteurs, qui pourrait changer la donne.
Un marché en surchauffe
Dans ce contexte paradoxal, l’immobilier espagnol connaît une dynamique exceptionnelle. Janvier 2025 a été un mois record avec une hausse de 11 % des transactions par rapport à janvier 2024. Sur les cinq derniers mois, la progression atteint 30 %, selon l’Institut national de la statistique (INE) et les étrangers sont de plus en plus nombreux à acheter.
Plusieurs facteurs expliquent cette fièvre acheteuse. La baisse des taux d’intérêt décidée par la Banque centrale européenne (BCE), qui a entraîné une chute de l’Euribor, a nettement amélioré les conditions de financement. Par ailleurs, une éventuelle réforme fiscale menaçant de doubler la taxe d’acquisition (ITP) pour les acheteurs non européens, évoquée récemment par le Premier ministre Pedro Sánchez, incite les investisseurs étrangers à accélérer leurs emplettes.
À cela s’ajoute un climat d’incertitude géopolitique : les ressortissants polonais et roumains, inquiets de la situation en Ukraine, cherchent à sécuriser leur patrimoine, tandis que les Français redoutent pour leur épargne.
Une pression accrue sur les familles espagnoles
Cette montée des prix complique encore davantage l’accès à la propriété pour les espagnoles, qui se tournent de plus en plus vers la location; l’offre locative est historiquement basse, ce qui provoque une hausse des loyers et accentue les tensions sur le marché.
Laurence Lemoine
