Le dégonflement de la bulle spéculative sur le marché immobilier a été le facteur essentiel de la profonde crise où l’Espagne se trouve plongée depuis lors. La “brique” ayant été le moteur de la croissance interne espagnole pendant plus d’une décennie, à un degré inégalé par rapport aux autres pays (11 % du P.I.B. et, avec les activités liées directement ou indirectement à l’immobilier, 30 % de l’emploi), l’explosion de cette bulle a entraîné les graves conséquences économiques et sociales que l’on connaît et qui perdurent à ce jour. Quelles sont la situation actuelle de l’immobilier espagnol et ses perspectives d’évolution ? Entre 1995 et 2007, les prix de l’immobilier augmentèrent de 200 %, alors que, sur cette même période, l’inflation progressa de 43,4%. Cause de cette flambée des prix, une explosion de la demande facilitée par une offre abondante et bon marché de crédits à très longue durée, finançant souvent jusqu’à 100 % du montant de l’investissement. Le crédit alimentait ainsi la hausse du prix des actifs immobiliers bien au-delà de leur valeur réelle, amplifiant l’effet de richesse patrimoniale, ce qui incitait les agents économiques à s’endetter davantage dans un but spéculatif. Il s’ensuivit un énorme endettement des ménages (139 % de leur Revenu Disponible Brut dont 15 % pour l’immobilier) et des entreprises (131 % de leur valeur ajoutée brute) ainsi qu’une croissance de la construction résidentielle sans rapport avec la demande réelle, donnant lieu à un stock immobilier considérable. Or, plus de 80 % des dettes du secteur privé (97 % dans le cas des ménages) avaient été contractées à taux variable, rendant les emprunteurs très vulnérables à un retournement des taux. Ce retournement se produisit à partir de 2005, sous l’effet de la hausse du taux directeur (qui doubla en 2 ans) de la Banque Centrale Européenne. L’alourdissement du coût de la dette amena les débiteurs, devenus moins solvables, à réduire leurs investissements immobiliers et le niveau de leur consommation, enclenchant, par une réaction en chaîne, la décélération puis la chute continue des prix immobiliers, un ralentissement consécutif de l’inflation renchérissant d’autant la charge des dettes et engendrant, de ce fait, une baisse de la demande qui détermina un recul de la croissance en général et de la construction surtout. La crise financière internationale à partir de 2008, en accentuant les restrictions de crédit par la paralysie du marché interbancaire, précipita cette évolution qui déboucha sur un effondrement de l’activité immobilière contribuant essentiellement, en raison du poids de ce secteur, à une récession de l’ensemble de l’économie espagnole. Plus de la moitié de l’énorme chômage (21,5 % de la population active) induit par cette récession procéda du secteur immobilier, et il est d’ordre structurel car il concerne des travailleurs généralement peu formés donc difficilement réemployables dans l’immédiat. La permanence de ce type de chômage a rendu la reprise économique espagnole plus tardive et plus précaire que celle de ses partenaires européens. A ce jour, le marché immobilier espagnol se caractérise par un très important stock de logements invendus, principale conséquence de la construction disproportionnée jusqu’en 2009. L’estimation du niveau de ce stock donne lieu à des divergences, aussi seules les données officielles ou, à défaut, émanant de sources professionnelles fiables seront retenues ci-après et ne doivent être considérées que comme des ordres de grandeur. Au début de 2011, selon le Ministère du Développement (Ministerio de Fomento), 687.523 logements neufs étaient en vente. En prenant aussi en compte les logements anciens à la vente à cette même date, dont le nombre était estimé par des experts sérieux à 722.000, il résultait un stock total de 1.409.523 logements offerts sur le marché. A la fin du 1er semestre 2011, eu égard aux 60.247 logements terminés depuis le début de l’année pour les sociétés de promotion (non inclus ceux construits directement pour leurs propriétaires personnes physiques, pour l’Administration publique, et dans le cadre de coopératives, non destinés en principe à la vente sur le marché libre), et des 146.556 logements vendus dans cette période, le stock s’établit à 1.323.214 logements en attente d’acquisition. Ce total inclut 704.218 logements neufs et 618.996 logements anciens. Aux logements disponibles à la vente, il convient d’ajouter ceux dont la construction n’est pas terminée. Leur nombre à la fin de 2010, selon des études fiables, serait d’environ 1.303.000 unités, et pour 572.000 d’entre elles, la construction se trouverait interrompue faute de financement ou suite à la déconfiture du promoteur. Au cours du 1er semestre 2011, la construction de 29.077 logements a été engagée dans le secteur libre. Ce sont donc 2.655.291 logements au total qui sont offerts, ou susceptibles de l’être, à la vente sur le marché. Il faut y ajouter le nombre, d’une part de ceux dont les banques se sont adjugées la propriété (environ 200.000) en exécution de leurs créances immobilières, et qu’elles retiennent dans leurs bilans pour ne pas dégager des moins-values, dans l’espoir d’une reprise du marché; d’autre part, de ceux que les banques seront amenées à saisir pour le même motif (environ 350.000 prévus) au cours des trois ou quatre prochaines années. Soit un potentiel de vente supérieur à 3.200.000 logements. Par sa dimension, ce stock ne peut que peser très lourdement sur un marché immobilier déjà très déprimé en raison de l’atonie de la demande. Frappés par un chômage qui ne cesse de croître, avec un accès au crédit de plus en plus restreint, les particuliers ont, de moins en moins, les moyens de devenir propriétaires ou d’investir dans la pierre; quant aux promoteurs/investisseurs, ils ne peuvent que très rarement envisager de nouvelles acquisitions faute de financements, et alors que beaucoup d’entre eux, à l’instar d’un nombre croissant de ménages, éprouvent de grandes difficultés à rembourser leurs dettes envers les banques. Ces dernières, pour leur part, plombées par leurs fortes créances au titre de l’immobilier qu’elles recouvrent de plus en plus difficilement, voient diminuer en conséquence leur capacité de crédit. Le nombre de transactions au 1er semestre 2011 est en recul de 38 % sur la même période de 2010 et de 27 % sur celle de 2009. Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que les prix ne cessent de diminuer depuis le 1er trimestre 2008: au 3ème trimestre 2011, leur baisse cumulée est de 17,7 % en moyenne nationale. Le palier actuel des prix (1.729,3 euros/m2 est proche du niveau au 1er trimestre 2005 (1.685,4 euros/m2). Toutefois, la plupart des experts s’accordent à considérer que les prix de l’immobilier sont encore survalorisés; ils ne divergent que sur l’ampleur de cet écart. Entre autres, le journal britannique The Economist l’estime à 39 %, la Commission européenne à 17 %, le Ministère du Développement entre 13 et 30 %, et l’Observatoire de Conjoncture Economique à 24 %. Il est à noter que, selon les toutes dernières données (septembre), les acheteurs potentiels espagnols demandent un rabais moyen de 21,7 % aux vendeurs, ce qui laisse présager de nouvelles baisses de prix. Dans la mesure où la majorité des observateurs envisage une croissance faible au cours des trois à cinq prochaines années, tirée essentiellement par les exportations et non par une consommation atone en raison de la politique de rigueur et des réformes structurelles qu’imposent la crise, les perspectives d’évolution du marché immobilier ne semblent guère favorables aux vendeurs. Selon une source professionnelle de référence, au rythme actuel de la demande annuelle qui se situe entre 240 et 280.000 logements, le stock de logements terminés mis à la vente (1.323.214) ne sera résorbé que dans 5 ou 4 ans, tandis que la totalité du stock potentiel à la vente (2.655.291) ne le serait qu’au terme de 11 ou 9 ans. En outre, il paraît très probable que les prix baisseront encore sous la pression de cette offre surdimensionnée, pression qui s’intensifiera si, comme il est à prévoir, le niveau de capitalisation imposé aux banques amène ces dernières à ne plus différer la réalisation de leurs actifs et l’exécution de leurs garanties immobilières. Bon nombre de ménages espagnols sont donc confrontés à une dure réalité immobilière. Ceux qui détiennent déjà un logement, au prix d’un endettement en général conséquent, peinent de plus en plus à couvrir les échéances, par suite de la hausse des taux d’intérêt et alors que leurs revenus stagnent ou diminuent du fait de la crise, quand ils ne sont pas carrément obligés d’interrompre leurs remboursements en cas –de plus en plus fréquent- de chômage, ce qui les expose à la saisie et à la vente de leur bien au profit des banques créancières. Et beaucoup de jeunes ménages aspirant à l’acquérir se voient dans l’impossibilité de réaliser leur projet, car l’écart entre le niveau de leurs revenus et celui des prix immobiliers, en dépit de leur baisse, est encore trop grand, cependant que l’offre de crédit demeure très restreinte. En revanche, pour les résidents dans certaines zones ou pays étrangers (Allemagne, Royaume-Uni, Bénélux, France, Suisse, Etats-Unis, Canada, etc.), le niveau en soi des prix du marché immobilier espagnol et également par rapport au niveau de leurs revenus offre de nombreuses possibilités d’acquisitions à des conditions inégalées dans leurs pays. C’est le cas notamment des Français. Selon des sources professionnelles, le prix moyen des appartements sur l’ensemble de l’Héxagone s’établit actuellement à 2.621 euros/m2 , bien que cette moyenne intègre des écarts considérables (3.410 euros/m2 pour les appartements neufs, 2.300 dans l’ancien, et 4.782 dans la seule région d’Ile-de-France où Paris se détache avec 7.857 euros/m2 ). Avec un salaire annuel moyen net de 21.206 euros (correspondant à un salaire brut de 27.000 euros après déduction des charges), l’acquisition d’un appartement de 70 m2 en France au prix moyen (2.621 €/m2) représente 8,6 années de salaire. Si le salarié français réalise l’achat d’une même superficie de logement en Espagne au prix moyen de ce pays, il lui en coûtera l’équivalent de 5,7 années de son salaire net en France. En outre, s’il s’agit de l’achat d’un appartement neuf, le taux de TVA applicable est très inférieur en Espagne (4 % jusqu’au 31 décembre de cette année, 8 % normalement) à celui de la France (19,60 %). Les Français semblent avoir intégré cette situation puisqu’en 2010, selon une étude du Colegio de Registradores (équivalent de la Conservation des Hypothèques française), ils ont acheté 8,2 % des logements acquis par les étrangers durant cette période. Ils viennent en deuxième position, loin derrière les Britanniques (23,4 %) mais devant les Allemands (7,7 %), les Russes (6,9 %) et les Italiens (5,6 %). Il est à noter que le nombre de logements vendus aux étrangers, soit 18.561, représente 4,4 % du total des ventes de l’année. Ainsi, la crise de l’immobilier espagnol, préjudiciable dans l’ensemble aux nationaux du pays, favorise relativement les non-résidents étrangers, essentiellement ceux des pays aux économies les plus avancées et principalement dans l’Union européenne. Le malheur des uns fait bien le bonheur des autres …. Par Felipe SAEZ Administrateur de la Chambre Officielle de Commerce d’Espagne en France RIEPTO CONSULTORIA, Avocats et Consultants, Madrid